"Une jeunesse allemande", plongée au cœur de la Fraction Armée Rouge
Le réalisateur français Jean-Gabriel Périot retrace à la Berlinale le parcours des fondateurs du groupe Fraction Armée Rouge (RAF), utilisant leurs images, leurs interventions médiatiques et leurs films pour raconter le glissement progressif vers la violence politique de cette "jeunesse allemande".
"Ce sont des gens qui venaient du cœur de la société allemande, ce ne sont pas des outsiders, ils auraient dû être l'avenir de l'Allemagne", explique le cinéaste de 40 ans dont c'est le premier long métrage.
Ulrike Meinhof, Andreas Baader, Holger Meins, Gudrun Ensslin, Horst Mahler étaient les membres fondateurs de la Rote Armee Fraktion (Fraction Armée rouge). Ils sont les personnages principaux d'"Une jeunesse allemande", documentaire d'un peu plus d'une heure et demi, consacré à l'émergence du mouvement qui allait incarner les "années de plomb" à l'allemande, à coups d'actions terroristes contre les institutions de la RFA, l'armée américaine ou le patronat.
Sans commentaire et uniquement construit avec des documents d'époque, le film est une immersion au cœur de ce moment de l'histoire allemande, qui parvient à saisir l'affrontement à vif entre une société encombrée et sclérosée par son passé nazi et une jeunesse sans échappatoire.
"Avant qu'ils passent à la lutte armée directe, on peut suivre la manière dont ils vivent, leur désespoir croissant", explique à l'AFP Jean-Gabriel Périot. "On voit ça à travers les images produites par eux ou autour d'eux, c'est assez unique dans l'histoire que l'on puisse raconter un évènement au présent de l'époque, par les gens qui la vivent", ajoute-t-il.
A la fin des années 1960, Ulrike Meinhof intervient dans les débats télévisés de l'époque, tient chronique dans des journaux d'extrême-gauche. Holger Meins est étudiant à l'Académie du film et de la télévision de Berlin (DFFB), il réalise des films tandis qu'Horst Mahler, avocat, plaide la cause de ses camarades dans les prétoires et les médias.
- Basculer vers la violence -
Selon M. Périot, "c'est peut-être le seul mouvement de cette époque, en tout cas dans toute la gauche révolutionnaire, qui s'est autant documenté (...) on se retrouve avec un groupe de gens qui sont tous brillants, qui vont tous quasiment jusqu'au doctorat, manient l'écriture, les films, la télévision, qui sont vraiment inclus dans la société".
"Ce sont des figures" du débat public, dit-il encore. Mais qui à la suite d'"une série d'évènements qui s'enchaînent", vont basculer vers une violence qui à l'époque est vue par eux "comme un moyen extrême mais un moyen parmi les autres".
Dans un téléfilm de l'époque (1969) consacré aux premières actions du groupe Baader, "Brandstifter" ("Incendiaires", de Klaus Lemke), un personnage dit: "On a trop longtemps joué avec l'idée d'une révolution, il est temps d'en commencer une".
A partir de 1970, les fondateurs de la RAF entrent dans la clandestinité et le récit de Jean-Gabriel Périot se nourrit alors essentiellement des archives télévisées ouest-allemandes. Sur les images, à la violence de la RAF répond celle de l'Etat, incarnée par l'inflexibilité du chancelier social-démocrate Helmut Schmidt. "Il y a vraiment une guerre de générations. Avec le recul, on voit très bien que la société allemande les a poussés à la radicalisation, c'est un jeu qui s'est joué à deux", estime le réalisateur.
Habitué à travailler sur les archives, Jean-Gabriel Périot s'en tient à un travail d'historien des images, d'observateur clinique de la violence de l'affrontement, loin d'un quelconque parti pris.
"Quand il y a un texte (cité dans le documentaire) de Meinhof qui dit « Les policiers sont des porcs, on ne discute pas avec ces gens-là, on tire dessus », je me dis: il n'y a pas besoin d'en rajouter", souligne-t-il.
Présenté dans l'une des sections parallèles du festival de cinéma de Berlin, "Une jeunesse allemande" doit sortir en salle en France à l'automne.
le point
8 février 2015